>> Shoot <<

video, color, mute, 3'16 -- loop

 

 

(extrait)

« La nature est cette communauté surprenante où nous introduit notre corps. » 1
Ainsi cette définition proposée par le philosophe Novalis pourrait contribuer à caractériser
trois des qualités de ce règne naturel qui fait l’objet des investigations visuelles que
poursuit Nelly Massera. D’abord, l’on pourrait comprendre que la nature construit et
compose un espace profond et opaque, c’est-à-dire pénétrable, à condition d’en dépasser
les couches qui construisent son « épiderme ». Cette profondeur est d’ailleurs à vivre
autant par ceux qui l’habitent tout le temps que par ceux qui y sont étrangers et qui s’y
aventurent exceptionnellement, qui s’y meuvent dans tous les cas. En effet, le monde
naturel, par son système inhérent d’apparition et de dissimulation implique un cortège de
formes, d’attitudes et de postures, de l’ordre du déplacement. De plus, son espace est
soumis à l’organisation des liens qui régissent la cohabitation des êtres qui le peuplent et
de ceux qui le regardent, à l’image de ces deux chouettes, personnages principaux de la
vidéo Shoot. Côte-à-côte, elles continuent à partager une certaine proximité relationnelle
en bordure d’un réel, extérieur à leur monde, qui les épie - l’artiste les regarde et par elle,
nous aussi - et qu’elles semblent soutenir, si ce n’est mitrailler, de leurs yeux aussi
sombres qu’inquiétants. Ces présences, l’artiste les fait apparaître par le choix d’un cadre
et d’une durée. Ce faisant, elles promettent à celui qui les observent de se nouer à elles
dans un rapport physique et visuel provoqué par les manifestations de ce monde autre,
source d’étonnement en ce qu’il comporte de différences et de proximités. Mais si la
nature possède ce pouvoir d’irruption du visible, dans un temps cinématographique où le
regardeur tient sa position face à ce qui se déroule sous ses yeux, elle requiert
nécessairement du spectateur une qualité d’attention et de réaction, en ce sens que
l’image qui apparaît possède la qualité de mettre en mouvement le regard et l’esprit. Car il
s’agit de posséder un instant ce qui se passe, là, et ce qui s’impose, ici ; d’aller
visuellement à la rencontre de ce qui se joue, au-delà du rideau des attendus. (...)

 

Mickael Roy / 2014